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  • Photo du rédacteurMarie Sgherri

Dématérialisation


Moi et Pôle emploi, je sens bien que ça va être compliqué. Je ne pense pas y mettre de la mauvaise volonté. Je ne veux pas profiter du système et attendre qu'il me donne la becquée. J'espère créer mon propre emploi, voire plus. Car je suis ambitieuse hein ! À terme j’espère bien embaucher dans ma petite boutique. Déjà, je rémunère un graphiste pour qu’il se penche sur mon logo. Des fournisseurs, des clients, Bercy, l'Urssaf devrait bientôt avoir affaire à moi. Ce n’est qu’une question de temps…

Pour l’instant, c’est vrai, je ne fais que bricoler dans mon garage, Cette activité me comble d’aise, mais ne me rapporte rien. Je le déplore, et je te prie de m'en excuser Pôle emploi, c’est que j’attends notre rendez-vous ! Toi seul est en mesure de m’expliquer ce que j’ai le droit de faire et de ne pas faire en ce moment. Tu es pointilleux, exigeant, et oserai-je le dire, peu compréhensible Pôle emploi, cela dit, sans vouloir t’offenser. Dans mes échanges actuels, tous me conseillent d’attendre ce rendez-vous pour bouger ne serait-ce qu’une oreille…

Alors il y a deux jours, lorsque j’ai reçu ton courrier me demandant DANS LES PLUS BREFS DELAIS de t’envoyer des documents, je me suis mise à trembler. Je n’avais reçu aucun avis précédent cette impérieuse obligation. Aucun message ne me réclamait sur un ton sinon affable, du moins neutre, la moindre attestation. Cette soudaine exigence en lettres capitales m’a rendue nerveuse, confuse, presque coupable. Ces documents, il te le fallait immédiatement et de manière DEMATERIALISEE.

Naïve, je pensais que lors de notre rendez-vous tant attendu, je pourrais te communiquer tous ce que tu voudrais dans un échange aimable, apaisé, civilisé, en un mot. Car sache-le Pôle emploi, tu es pour moi un sommet de la civilisation. Que des êtres humains - si peu prévoyants souvent, plutôt égoïstes en moyenne -, se soient mis d’accord pour mettre au point un tel système d'entraide est, selon moi, la preuve qu’il ne faut pas désespérer de cet étrange « animal politique » dont parlait Aristote. Lors de notre première rencontre, j'imaginais que tu me dispenserais tes conseils et directives et que je me fendrais des pièces justificatives idoines.

Mais non, point d’échange de papiers entre nous. La paperasse désormais doit être DEMATERIALISEE, c’est moderne, ça encombre moins les armoires, tu dois estimer que c’est là la preuve que tu n’es pas un monstre bureaucratique, que tu es agile, que tu vis avec ton temps. Moi je suis un peu vieille, Pôle emploi, et j’ai refusé que tout se passe ainsi entre nous. Je veux que notre correspondance passe par la Poste. Tu me proposes à chaque connexion de mettre fin à cette anomalie. Mais je m’y refuse. J’ai ouvert une chemise cartonnée à ton intention, j’y ai inscrit au feutre ton nom, PÔLE EMPLOI. J’archive. On ne sait jamais tu sais, un virus, le crash d’un disque dur, une coupure de courant un peu longue, une catastrophe, a vite fait d’écraser les données précieuses de nos vies. Tu conserves pieusement nos échanges DÉMATÉRIALISÉS dans ta gigantesque mémoire. Moi je les empile non moins soigneusement dans une chemise cartonnée bleue barrée de ton nom. Comme ça, rien ne peut nous arriver !

Ce soir-là, j’ai donc scanné les documents que tu me demandais si urgemment Pôle emploi, je me suis connectée et entrepris de te les faire parvenir. Je me suis passablement énervée car l’un d’eux faisait 4 pages, mais j’ai dû rater quelque chose : j’ai échoué à te l’envoyer en intégralité. J’ai bien lu tout ce qui s’affichait pourtant et j’ai dompté moults logiciels lors de ma vie professionnelle. Tu me certifiais bien que j’avais le droit de te faire parvenir ainsi jusqu’à 5 pages, mais, à cette première épreuve, ce premier échange entre nous, j’ai lamentablement échoué. Ma confusion, une sorte de trac, ce sentiment d’être en faute, cet état mental, quelque part entre l’émotion ressentie lorsque j’ai passé mon permis de conduire, et celle qui me dévastait lorsque j’ai été convoquée dans le bureau du principal du collège il y a 35 ans parce que j’avais quitté la cour de récréation à la pause méridienne, ce qui était formellement interdit, m’a probablement aveuglé.

Le lendemain, tu m’as rappelé à l’ordre par mail Pole emploi et dans ta magnanimité, m’a donné une seconde chance. J’ai alors repassé cette épreuve sans difficulté. Les quatre pages du document ont été expédiées vers les puces de silicium qui anime ton organisme, il va les digérer lentement, de manière DEMATERIALISEE. Je vais surveiller mes mails, je te promets, Pole emploi, je vais m’améliorer. Je débute tu comprends. Il ne faut pas m’en vouloir si je suis maladroite encore. Entre toi et moi, ça ne fait que commencer…

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