Dans ma nouvelle vie, qui n’est pas encore la vie que je veux, il y a des hauts et des bas. Je vais tenter de ne pas parler ici que des bas, mais je ne promets rien. Parce qu’écrire, c’est aussi une manière de conjurer les bas.
Cela fait 3 semaines maintenant que je ne vais plus au travail. Se souvenir qu’avant, j’appelais ça « aller au chagrin ». Je ne le vis pas très bien. Je multiplie les activités « utiles » : aller au cinéma ou à la piscine, mater une série, n’en fait pas partie… Non je ne veux pas m’accorder de pause. Je n’ai pas arrêté « le chagrin » pour me reposer ou me distraire, mais pour créer ma petite entreprise de vélos. Un travail qui ne soit pas un chagrin...
Dans cette période que j’espère être un entre-deux, le lundi est une journée difficile. Une semaine commence dont je suis la seule responsable, elle se fera des rendez-vous que je vais prendre, des étapes que je vais franchir, des informations que je vais glaner, des contacts que je vais engranger. Ou pas…
Pour surmonter ce lundi, comme tous les lundis, j’ai ma to-do list. Au sommet de laquelle figure un coup de fil à Monsieur S, un homme d’expérience, une figure dans le milieu du vélo à Paris.
« J’ai 61 ans, me dit S. J’espère qu’à la fin de cet appel, vous aurez encore l’espoir d’ouvrir votre affaire ». Lui il est fatigué. « Le monde du vélo a changé. Longtemps, ce fut un métier d’artisan, le cycle lui-même ne changeait pas vraiment ». Depuis 1982, Monsieur S. répare et customise des vieux vélos à Paris. « Je dois les vendre au moins 200 euros pour que mon travail ne compte pas pour rien. Mais aujourd’hui, des vélos se vendent 30 euros, parfois moins. Le vélo ne vaut plus rien… »
Il développe « On change une lampe à un client. Il faut aussi changer le fil. Il y en a pour au moins 30 minutes. Tu factures ça combien ? demande-t-il de sa voix lasse. 14 euros ? C’est le minimum non ? Et bien le gars va encore trouver que tu exagères et que tu étais quand même plus sympa avant »
Ce qu’a l’air de me dire Monsieur S. c’est que vendre et réparer des vélos, c’est deux métiers différents. Que lui a pu vivre en faisant le deuxième mais a échoué à vivre du premier… D’ailleurs, Paris l’emmerde, il veut déménager. Une petite ville paumée de province, sans gare, sans transport, voilà le défi qui lui plairait. Comme quoi, lui aussi y croit encore…
Je note ce qu’il me dit, pêle-mêle, qu’il faut minimum 150 m2 pour vendre et réparer des bicyclettes, qu’il ne faut pas accumuler les vieux biclous : au bout d’un moment il faudra payer un ferrailleur pour vous en débarrasser, qu’il faut avoir des fournisseurs fiables, que le local, s’il est moins cher, c’est qu’il n’est pas terrible, il va donc falloir le mettre aux normes, électricité, incendie, hygiène… ça coûte cher. Plus le local est bon marché, plus son entretien coûtera cher, comme une sorte de bon vieux cercle vicieux…
Je note, je le remercie et je raccroche. Maudit lundi !
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