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Photo du rédacteurMarie Sgherri

Liberté chérie

Pourquoi le vélo ? Si vous vous déplacez à vélo, vous savez. Vous connaissez ce sentiment de liberté et d’euphorie que l’on a en pédalant du point A au point B sans retard, sans bruit, sans mollir : le vélo simple, efficace et réconfortant.

Le vélo nous avons tous fait lorsque nous étions enfant, non ? Nous nous souvenons le plus souvent du jour où quelqu’un nous a débarrassé de ces bruyantes petites roulettes qui nous rassuraient tant. Une main en qui nous avions confiance nous a maintenu les premiers mètres et soudain, nous avons découvert la vitesse et l’équilibre, notre corps a goûté cette évidence contre-intuitive : on ne tombe pas sans les roulettes, au contraire, on file. Et nous nous sommes mis à pédaler sans cesse, tous les jours après l’école, nous courions vers ce petit vélo et nous roulions, roulions, roulions, sans but, juste pour jouer, pour dépenser cette énergie que nous avions enfant après une journée d’école. Le vélo est devenu trop petit, la rue devant la maison aussi, nos parents nous ont offert un vélo plus grand, trop grand peut-être, mais qu’importe ! Nous l’avons dompté et chevauché pour explorer le village, la ville, le monde…

Et puis nous sommes devenus grand. A l’adolescence, j’ai voulu une mobylette. Je l’ai eue. C’était bien aussi de tourner la poignée de gaz et d’avancer si vite. Mais ma mob, quel tas de ferraille c’était ! Parfois, au feu rouge, cette diabolique machine calait. Ou bien, phénomène déconcertant, redémarrait à l’envers ! Je me suis fait peur sur cette vieille mobylette, une chute idiote, un accident évité de justesse… Et la pompe vorace : ces petites pompes qui délivraient le mélange huile-essence en giclée déclenchée par les pièces de deux francs. Ah combien de pièces de deux francs j’ai introduit dans ces pompes pour avancer encore, et combien de sueurs froides parce que je suis à court de pièces de deux francs et que mon réservoir sonne creux…

Mais nous grandissons encore et nous passons le permis. Nous conduisons la voiture de nos parents puis la nôtre. Nous pouvons sortir le soir, revenir à pas d’heure, nous pouvons partir en vacances, aller n’importe où. La distance ne compte plus. Nous voici adultes. Le piège de cette carcasse de metal s’est refermé sur nous.

De ma banlieue lointaine à l'époque, je prends ma voiture pour aller au travail. Je rejoins les embouteillages quotidiens, j’écoute la radio, ça passe le temps. Mais l’heure tourne, le stress monte. On ne sait jamais vraiment pourquoi on est là, coincé entre la voiture de devant et celle de derrière, coincé sans pouvoir s’échapper, coincé entre deux bretelles d’autoroute, entre deux feux rouges, coincé dans ces paysages d’apocalypse, entre deux glissières de métal. Un accident ? Peut-être que là devant nous, à 5 kms, ou 300 mètres, on n’en sait rien, on ne voit rien, des corps souffrent prisonniers de la ferraille pliée qui leur a déchiré la peau. Peut-être que leur visage est criblé des mille éclats scintillants de leur pare-brise qui a explosé dans le choc ? Peut-être, mais on s’en fout. On voudrait juste avancer, sortir de la file indéfinie de bagnoles qui crachent consciencieusement leur fumée délétère à l’arrêt dans le petit matin. Une ambulance se fraie un passage. On pense : ah enfin, on va peut-être enfin pouvoir redémarrer. Cruelle indifférence...

Comment avais-je pu oublier la liberté du vélo ? Pourquoi m’a-t-il fallu si longtemps avant de remonter sur une bicyclette et de réaliser le temps perdu ?

C’est une dépression qui m’a fait remonter en selle. J’ai arrêté de travailler et j’avais du temps. J’ai acheté un vélo, un beau vélo rouge qui me sera volé place du Palais-Royal à Paris en plein après-midi ! D’autres suivront, des vélos pas chers, le moins cher possible, mais je les ai tous aimé d’amour… Je me suis mise à faire des choses étranges à bicyclette. Aller prendre un train avec une valise de 15 kg arrimée au porte-bagage, le laisser à la gare en priant pour le retrouver à mon retour, me retrouver à des échangeurs autoroutiers parce qu’aucun itinéraire cyclable ne permettait de rejoindre le centre commercial. Les franchir quand même. Mettre mon vélo dans ma voiture pour un lointain rendez-vous, pour finir le trajet à vélo, car une journée sans vélo est une journée perdue. Louer un vélo plutôt qu’une voiture lors d’un reportage à Toulouse. Devoir demander à l’hôtelier la permission de le rentrer la nuit dans le hall, parce que les abords de la gare Matabiau me laissaient peu de chance de le retrouver le lendemain…

Longtemps, ces vélos je ne m’en suis guère occupée. On me les volait, j’en rachetais un dans la journée : impossible de m'en passer ne serait-ce que 24 heures. Je crevais, je le poussais jusqu’au vélociste, j’usais mes freins jusqu’au métal avant de faire changer les patins… Lorsque j’ai découvert que réparer un vélo n’était pas si compliqué, ce fut une nouvelle libération : cette machine a toutes les qualités décidément : elle permet à tout un chacun d’en prendre soin, sans compétences pointues. Et quel bonheur de bricoler en sifflotant pour lui rendre son éclat, son mordant, sa vivacité…

La libération s’achève : hier, j’ai traversé Paris, franchi ses carrefours thrombosés de bagnoles en un rien de temps. J’ai passé quatre heures dans une cour d’immeuble à dépanner un vieux et magnifique Peugeot, changer sa mâchoire de frein déglinguée et sa manette de changement de vitesses fatiguée. A la fin de la journée, un sourire béat aux lèvres, je suis rentrée chez moi en réalisant que ce travail dans cette cour humide, loin du bruit et des interruptions incessantes de l’open space, me donnait autant de bonheur que de pédaler sans entraves. Un travail humble, qui ne rapporte rien, mais qui me donne le sentiment d’être puissante et libre.

On découvre l'équilibre et la vitesse, la liberté à bicyclette, et puis on oublie...

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